Un entretien fantastique avec Alexandre Julliard, concepteur de Wine

Gazette Linux n°52 — Avril 2000

Xavier Serpaggi

Adaptation française 

Frédéric Marchal

Correction du DocBook 

Article paru dans le n°52 de la Gazette Linux de avril 2000.

Cet article est publié selon les termes de la Open Publication License. La Linux Gazette n'est ni produite, ni sponsorisée, ni avalisée par notre hébergeur principal, SSC, Inc.


Olinux : Parlez-nous de votre passé.

Julliard : J'ai étudié l'informatique au Swiss Federal Institute of Technology. Ces dix dernières années j'ai travaillé dans le développement de logiciels, la plupart embarqués (routeurs, téléphones, etc.) et j'ai travaillé sur le projet Wine comme loisir depuis ses débuts en 1993.

Olinux : Pouvez-vous expliquer brièvement l'histoire de Wine ainsi que son organisation ? Quelle est sa principale utilisation ?

Julliard : Wine a vu le jour en 1993 et j'en suis le superviseur depuis 1994. Il permet principalement de faire tourner des exécutables Windows sous Linux (ainsi que d'autres systèmes Unix) mais il permet également aux personnes désireuses de recompiler leur code source windows pour faire des exécutables Unix natifs, de le faire sans avoir à modifier le code existant.

L'organisation est toujours calqué sur le modèle de la dictature du bénévolat ; tous les changements me sont soumis et j'ai le dernier mot en ce qui concerne leur intégration à l'arborescence du code.

Olinux : Quel est votre principale activité dans la vie ? Travaillez-vous à temps complet pour Wine ?

Julliard : Je travaille pour la société CodeWeavers ; une partie de mon travail est consacré au développement de Wine, l'autre à de la mise au point pour nos clients. En ce moment cela signifie faire du développement Wine pour le compte de Corel, donc oui, je travaille pratiquement à temps complet pour Wine. Du moins pour l'instant.

Olinux : Que faites-vous dans Wine ?

Julliard : Un petit peu de tout... Ma spécialité est principalement les domaines bas niveau comme la gestion de la mémoire, les processus légers (threads), etc. Et bien sûr, en plus j'étudie les modifications qui me sont soumises et je les intègre au code.

Olinux : Est-ce que Wine est financé par quelque société ou autre type d'organisation que ce soit ? Dans quelle mesure l'implication et le support de Corel affecte le développement de Wine ?

Julliard : Il n'y a pas d'organisation qui finance directement Wine mais il y a des sociétés qui font travailler certains de leurs employés sur Wine. Bien sûr le principal contributeur dans ce domaine est Corel qui dispose de nombreuses personnes travaillant à temps complet pour Wine.

L'implication de Corel a fait beaucoup pour Wine, principalement en s'interessant à des bouts de code un peu laissés de côté jusqu'à présent et en procédant à des test intensifs de toutes leurs suites bureautique sous Wine et en corrigeant toutes les erreurs rencontrées. Wine a profité sans conteste de l'aide de Corel.

Olinux : Est-ce que tout le monde dans l'équipe de Wine est volontaire ?

Julliard : Non puisque chez Corel certaines personnes y travaillent dans le cadre de leur emploi.

Olinux : Comment sont organisées les personnes travaillant sur Wine et quels sont les outils utilisés pour contrôler les résultats des travaux effectués dans différents projets aux quatres coins du monde ?

Julliard : Nous communicons par le biais de listes de diffusion et tout le code est dans un dépot CVS accessible à tous en lecture uniquement. Je vérifie personnellement tous les changements et je les stocke alors dans le dépot CVS où n'importe qui peut les tester.

Olinux : En ce moment combien de personnes travaillent au développement de Wine ? Êtes-vous satisfait des résultats ?

Julliard : Il est difficile de dire exactement combien de personnes y travaillent à un moment donné mais je pense que l'on peut dire 30 à 40 développeurs. Je pense que le résultat est vraiment impressionant surtout quand on compare à la quantité de ressources utilisées par Microsoft pour Windows.

Olinux : Peut-on faire quelque chose pour améliorer la rentabilité ?

Julliard : En disposant de plus de personnes bien sûr ; bien que je pense que l'on ne puisse rien attendre de Microsoft dans ce domaine, une meilleure documentation de l'API de Windows serait d'un grand secours.

Olinux : Pouvez-vous nous décrire les projets actifs et leurs activités centrales ? Comment, en terme de personnel et de contenu, s'effectue la répartition et la coordination des tâches ?

Julliard : In n'y a pas à proprement parler de coordination pour les projets annexes. Tout le monde travaille sur ce dont il a envie et la coordination s'effectue au travers de la liste de diffusion et de l'arborescence CVS.

Olinux : Que répondriez-vous à Bill Gates lorsqu'il affirme que Linux n'est pas un danger pour Microsoft à cause de sa décentralisation et du fait qu'il n'y a pas de coordination ?

Julliard : Linux est un danger pour Microsoft précisément parce qu'il est décentralisé. Il n'y a pas une entreprise unique que vous pouvez acheter ou mettre à l'écart des affaires, donc la stratégie Microsoft ne s'applique pas contre Linux.

Olinux : Voyez-vous des problèmes relatifs au travail de volontaires en ce qui concerne la qualité du développement des logiciels et de la maintenance ?

Julliard : Je pense que le fait que le travail soit fait de manière volontaire donne une meilleure qualité aux logiciels vu que les personnes prennent le temps de faire les choses bien et qu'ils en tirent également plus de fierté puisque ce travail est publié dans le monde entier.

Le principal problème avec le travail volontaire est que les parties de code moins amusantes à écrire se voient porter moins d'attention. Voilà pourquoi il est bien d'avoir à la fois des volontaires et des personnes payées pour travailler sur un même projet.

Olinux : Comment décririez vous l'avancement de Wine dans les années 90 et quels sont les objectifs pour 2000 ? Quand les utilisateurs auront-ils une version parfaite de Wine ?

Julliard : Wine a parcouru un trés long chemin depuis le support des applications uniquement 16~bits jusqu'à l'actuel support de pratiquement toutes les API 16 et 32 bits, OLE, DirectX, etc. Nous arrivons à un point où le cœur de Wine est complet ce qui devrait nous conduire à la première grande distribution publique, espérons cette année.

La version parfaite qui fera tourner 100 % des applications avec 100 % de compatibilité n'existera probablement jamais, mais une version qui est parfaite pour un certain nombre d'applications testées est certainement possible ; en fait, le Wine actuel est déjà parfait pour certaine applications.

Adaptation française de la Gazette Linux

L'adaptation française de ce document a été réalisée dans le cadre du Projet de traduction de la Gazette Linux.

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