GAZETTE N°28: Le fax sous Linux pour les nuls

Conférence sur l'open source

Par Éric S. Raymond

Adaptation française : Roland Mas


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6. Conférence sur l'open source

Le 7 avril 1998, une groupe de personnes sélectionnées parmi les plus influentes dans la communauté du logiciel libre (open source) se sont réunies à Palo Alto pour se rencontrer, réfléchir sur les implications de la libre distribution des sources de l'arpenteur de Netscape, et discuter de la direction du mouvement open source (en particulier comment celui-ci peut fonctionner avec le marché plutôt que contre, afin que les deux en bénéficient).

Cette conférence était hébergée par la société O'Reilly & Associates, qui est en symbiose avec le mouvement open source depuis de nombreuses années. Linus Torvalds (celui de Linux) était présent, comme l'étaient les inventeurs des trois plus grands langages de script : Larry Wall (Perl), John Ousterhout (Tcl) et Guido Van Rossum (Python). Éric Allman (Sendmail) et Paul Vixie (BIND / DNS) représentaient leurs propres projets ainsi que la communauté BSD. Phil Zimmerman, l'auteur de PGP, y était aussi, de même que John Gilmore, cofondateur de Cygnus et de l'Electronic Frontier Foundation. Brian Behlendorf parla pour les personnes qui maintiennent Apache. Jamie Zawinski et Tom Paquin représentaient Netscape et mozilla.org. Pour le rôle semi-accidentel que j'ai joué en faveur de la distribution des sources de Netscape avec « La cathédrale et le bazar », j'ai également eu l'honneur de figurer parmi les invités.

La rencontre a duré de 8 h 30 à 17 h 00, et a été suivie d'une conférence de presse où de nombreuses personnes étaient présentes. Il était extrêmement excitant de se sentir entouré de toute cette intelligence et de toutes ces réalisations et nous avons été un peu dégrisés en nous rendant compte à quel point leur travail était indispensable - pas seulement à la culture hacker, mais aussi au monde entier, pour qui le moyen de communication le plus vital du siècle prochain est l'Internet.

Un des buts les plus importants de cette réunion était, tout simplement, de permettre à tout le monde de se rencontrer face à face, se serrer la main, se regarder dans les yeux et entendre la voix des autres. Beaucoup d'entre nous n'avaient jamais rencontré les autres auparavant, malgré les conversations par e-mail. Tim O'Reilly avait le sentiment (que je partage) que le contact par le Net n'est pas un moyen suffisant de lier des communautés, et que les challenges auxquels nous allons être confrontés nécessitent une confiance mutuelle plus humaine entre les chefs des grandes tribus open source.

En cela, je pense que cette réunion fut un succès. Mais elle fut également consacrée à la substance même de l'open source. Nous avons échangé nos points de vue sur le phénomène open source / free software, de même que les différentes définitions que nous donnions à ces concepts. Un des résultats importants de la rencontre est que nous sommes tous tombés d'accord sur le fait que, dans tous les sens que chacun donnait à ces mots, l'accès public aux sources est l'élément le plus important, et le seul absolument requis.

Nous avons discuté sur l'épineux problème de l'appellation, prenant en considération les implications des expressions freeware, sourceware, open source et freed software. Après le vote, nous avons convenu de nous placer sous le label open source. Ceci manifeste notre intention de convaincre la société d'adopter notre façon de faire pour des raisons économiques, égoïstes et non idéologiques (il s'agit de la stratégie que j'ai adoptée dans www.opensource.org et dans plusieurs de mes récentes entrevues avec la presse nationale).

Nous avons parlé de modèles de fonctionnement. Plusieurs des invités font face à des problèmes de gestion d'interface entre le marché et la culture hacker. Netscape s'approche de cette interface d'un côté, Scriptics (La société de Tcl de John Ousterhout) et le lancement commercial de Sendmail par Eric Allman de l'autre. Personne ne sait encore ce qui va marcher, mais nous avons pu identifier des problèmes communs et quelques stratégies envisageables pour les résoudre.

Nous avons parlé de modèles de développement - les diverses méthodes utilisées pour organiser les projets, les points forts et points faibles de chacun, et nos expériences respectives en la matière. Nous n'avons pas eu d'illumination, mais une fois encore il nous a semblé utile de constater la présence de problèmes communs.

Nous avions tous compris que cette réunion ne pouvait être qu'un début. En fin de journée, nous avons essayé d'établir un agenda pour tenir une conférence plus grande, qu'O'Reilly pourrait accueillir d'ici à la fin de l'année. Nous espérons voir participer à cette deuxième réunion d'autres personnes de la communauté open source - une des dernières choses sur lesquelles Tim nous a demandé de réfléchir est une liste des absents qui auraient dû ne pas l'être.

La journée s'acheva sur une conférence de presse très suivie lors de laquelle nous avons tous répondu aux questions des journalistes de Bay Area et d'ailleurs - certains ont reçu le message, d'autres non. Pour chaque journaliste qui voulait réellement comprendre la logique de l'approche open source, il y en avait un autre qui répétait des questions provocatrices sur Microsoft. Cela dit, les premiers échos publicitaires que j'ai reçus sur notre rencontre (qui a eu lieu il y a deux jours seulement avant que j'écrive ceci) étaient très positifs.

Nous sommes à l'aube d'une période très excitante. À l'instar de la libre diffusion de Netscape, la communauté open source a acquis une portée jamais atteinte jusqu'alors. Nous nous faisons des amis en des lieux nouveaux, nous rencontrons de nouvelles perspectives. Le grand monde, que nous essayons de convaincre d'adopter notre point de vue, se moque éperdument de nos différences et de nos problèmes  il veut savoir ce que nous pouvons lui apporter qui, par sa valeur, justifierait une évolution majeure dans les règles de base de l'industrie du logiciel.

Pour ce prosélytisme, nous devons être unis en une unique communauté plus que nous ne l'avons été par le passé. Non seulement la communauté Linux, mais aussi les gens de BSD, les hackers Perl, Python et Tcl, les personnes responsables de l'infrastructure de l'Internet, et la Free Software Foundation, nous devons ne représenter qu'une communauté et ne tenir qu'un discours à ce vaste monde.

C'est en cela que cette réunion a finalement été importante. Nous en sommes tous ressortis avec une meilleure perception de ce qu'est toute cette histoire et de la manière dont chacune des grandes tribus s'intègre dedans. Le simple fait que nous nous soyons retrouvés ensemble face aux journalistes (et donc par extension face au reste du monde) était une démonstration importante. La conférence fut un bon début - à nous de poursuivre l'action au cours des prochains mois.


Copyright © 1998, Éric S. Raymond -- Publié dans le n°28 de la Linux Gazette.

Adaptation française : Roland Mas


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