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3. Créer un programme de certification et de formation à Linux

Par Dan York <dyork@Lodestar2.com>

3.1 Introduction

Certification. Ce simple mot a le don de déclencher les pires guerres à outrance d'Usenet, et évoque des images de novices sans expérience gagnant avec un morceau de papier des emplois sur d'autres candidats bien plus expérimentés qu'eux, mais qui n'ont pas les bons sigles dans leur CV. Il pue les contrôles centralisés, l'obligation de passer des examens pour prouver ses compétences. Il génère une soupe alphabétique tourbillonante de sigles : MCSE, CNE, MCP, CCIE, CLP, ATEC, LAEC, CNA, CSA, EIEIO...

Maintenant, si Linux doit être largement accepté dans les grandes tendances de l'informatique, je pense qu'un programme de certification est essentiel. Mais tout d'abord, avant de m'en prendre plein la tête, j'annonce clairement que je ne crois pas qu'un programme de certification remplace jamais l'expérience dans le domaine de l'embauche. En fin de compte, un programme de certification est un produit, principalement destiné au marketing et au recrutement. Dans cet article, je souhaite entamer une discussion sur les raisons que peut avoir Linux de nécessiter un programme de certification, et sur quoi un tel programme devrait être concentré.

Pourquoi Linux a besoin d'un programme de certification

Le besoin est ailleurs... selon moi, voici ce qu'un programme de certification peut apporter à Linux :

  • provoquer la reconnaissance par l'industrie - Microsoft, Novell, Lotus et les autres ont dépensé des millions et des millions de dollars à convaincre l'industrie informatique de la valeur de leurs certifications. Le public, particulièrement les décideurs, estiment qu'il y a une valeur et une importance réelles dans la certification. Un programme de certification Linux permettra à ceux qui estiment cette valeur de constater que Linux « s'est érigé en choix viable » ;
  • fournir un cursus aux étudiants - les étudiants qui souhaitent se mettre à Linux peuvent ne même pas savoir pas où commencer. Certes, ils peuvent lire un ouvrage d'introduction à Linux... mais où cela les mènera-t-il ? Certains peuvent apprendre très bien tout seuls, avec un livre ou un CD, pendant que d'autres trouvent un bien plus grand intérêt à apprendre dans une salle de classe, devant un professeur. Mais quels livres ? Quelles classes ? Les étudiants qui veulent se mettre à NT ont un cursus simple : il suffit de suivre la piste MCSE, à travers des classes, des CD, ou des livres. Le programme de certification délivre du douloureux « par où commencer ? ».
  • fournir un support pour les centres de formation - Les centres de formation adorent le programme MCSE de Microsoft. Au lieu de récupérer ici et là des étudiants pour chaque cours, ils peuvent élaborer un programme de formation séduisant, qui va inciter les étudiants à s'inscrire d'un seul coup à six cours. Typiquement, un programme MCSE peut générer des revenus de 8 à 10 000 dollars pour un centre de formation. S'ils veulent enseigner Linux, comment commencent-ils à proposer des cours ? Un programme de certification permet à un centre de proposer un cursus générateur de revenus significatifs. Un programme classique de formation/certification permet également la compétition entre les centres ;
  • améliorer le marketing - Chaque centre de formation et chaque livre qui se concentre sur le cursus de la certification est un facteur de vente du produit. Un centre de formation du Nord-Est des États-Unis va affecter cette année 1,4 millions de dollars à la promotion de Microsoft. Chacune des publicités pour ce centre de formation va battre du tambour pour Microsoft et va aider à la promotion de NT, et à la valeur de la certification. Quand vous allez chez le libraire, combien de livres voyez-vous dans les rayons pour les certifications de Microsoft ou de Novell ? Chaque livre crée plus d'opportunités de vente pour les éditeurs, les libraires, etc. Un programme de certification Linux aidera à promouvoir la croissance globale du système d'exploitation Linux ;
  • contrer l'argument « pas de maintenance » - Les opposants claquent rapidement la porte à Linux pour le motif de « manque de maintenance ». Nous, dans la communauté Linux, nous savons la vérité... à propos du support fourni par les newsgroups et les listes de diffusion... mais le corps des décideurs est toujours à la recherche d'une forme de support des produits industriels. Les nouveaux programmes de Red Hat et d'autres, qui permettent aux entreprises de souscrire des contrats de maintenance, sont certainement un grand pas dans cette direction. Mais l'existence de personnel « certifié » en est un autre. Microsoft est toujours prompt à rappeler qu'il y a actuellement dans la nature des centaines de milliers de MCSE-isés qui sont capables de maintenir Windows NT. Cet argument apporte une certaine sécurité à un directeur d'entreprise, au moment de faire le plongeon dans NT - il ou elle sait qu'il y a pas très loin des gens qui vont pouvoir assurer la maintenance du produit sur le point d'être utilisé. Un réservoir de professionnels certifiés Linux permettrait de contrer cet argument ;
  • transformer les étudiants en avocats - Si les étudiants apprennent tout sur Linux et conmment l'installer, le configurer et l'utiliser, ils deviennent de bons avocats pour Linux en entrant dans l'industrie de l'informatique. Cela est dû à la fois aux connaissances acquises au cours de la préparation à la certification... et également au fait qu'à partir du moment où un candidat à la certification a investi une solide quantité de temps, d'énergie et d'argent dans le produit, il a vraiment envie de l'utiliser. Un candidat peut dépenser 10 000 dollars et passer six mois d'études pour devenir MCSE. Au bout du compte, il a un intérêt certain à travailler sur NT. Les gens recommendent ce qu'ils connaissent. Nous avons besoin qu'ils connaissent Linux !
  • créer des emplois pour les spécialistes Linux - Un programme de certification crée de nombreuses opportunités d'emploi pour des personnes connaissant bien Linux. Des livres peuvent être écrits. Des cours peuvent être développés et enseignés. Il existe toute une industrie dévouée à l'enseignement et au développement de cours et de livres sur les certifications Microsoft, Novell, Lotus et autres, qui ne demande qu'à s'étendre à de nouveaux produits. Chaque personne susceptible d'être employée à écrire ou enseigner Linux devient un avocat de plus, éventuellement à plein temps ;
  • recruter de nouveaux utilisateurs Linux - Combien de gens ont répondu aux publicités du genre « Vous voulez gagnez 70 000 dollars par an ? Venez suivre les cours xxx et rejoignez notre programme MCSE » ? Combien d'entre eux ne seraient jamais entré dans l'industrie informatique ? Ils ont maintenant un emploi... à travers le marketing et en fournissant un cursus. Le développement et l'acceptation d'un tel programme de certification Linux permettrait d'agrandir la base des utilisateurs Linux ;
  • assister aux processus d'embauche - C'est la partie la plus controversée. Des guerres à outrance (ou flame wars) font rage à propos de ceux qui sont passés à côté d'emplois/promotions/projets parce qu'ils n'avaient pas la certification appropriée. D'autre part, il y a ceux qui sont « certifiés » car ayant réussi les examens, mais qui n'ont qu'une faible expérience. À une époque, le programme de Novell était devenu si dilué qu'on pouvait rencontrer des « diplômés CNE » qui avaient obtenu leur distinction en lisant des livres, sans avoir jamais touché à un serveur NetWare ! Alors que Microsoft s'est efforcé de rendre ses examens suffisamment difficiles pour rendre indispensable l'utilisation du système pour les réussir, il existe sans aucune doute des quantités largement suffisantes de supports d'études pour laisser à quiconque la possibilité d'essayer d'obtenir la certification en les étudiant exclusivement. Mais les certifications peuvent assister les processus d'embauche. Lorsque j'évalue des candidats à un poste, je ne me limite pas au seul critère des acronymes qu'ils collent à leur nom. Cela dit, en sachant que le candidat a réussi un programme de certification, j'en déduis tout de même qu'il a atteint un certain niveau de connaissances de base. J'en tire également une idée sur sa persévérance et sa détermination pour arriver à bout d'un projet (comme un processus de certification). Ces deux facteurs réunis m'aident à avoir une idée sur le candidat et ses possibilités. Il m'est arrivé que certaines personnes voulant se mettre à Linux me demandent : « comment puis-je trouver quelqu'un que je puisse embaucher pour faire marcher ce serveur Linux ? Si je ne connais pas grand'chose de Linux moi-même, comment puis-je savoir si le technicien que je viens d'engager sait lui-même vraiment quoi que ce soit sur Linux ? ». Un programme de certification peut aider les décideurs à savoir quand un candidat possède un niveau minimum de compétence dans le domaine des produits Linux.

3.2 Créer un programme de certification

Maintenant, si un programme de certification peut tant apporter à la communauté Linux, quelles sont les caractéristiques d'un programme qui marche ?

  • il doit être sanctionné par des examens - Les fournisseurs de certifications existantes, tels que Linux International, ne sont pas (encore) prêtes à faire face à une telle tâche. LI semble être un choix naturel pour lancer un tel programme. Peut-être un groupe de distributeurs Linux pourrait-il contribuer financièrement à une action de LI afin de mettre en place les programmes et l'équipe d'un département formation... ou peut-être les fonds viendraient-ils des centres de formation...
  • le programme doit avoir plusieurs niveaux - Les centres de formation aiment les programmes de Microsoft parce qu'ils proposent plusieurs cursus différents. Après un examen, un candidat devient un « Microsoft Certified Professional » (MCP). Après trois examens précis, vous pouvez devenir un MCP+Internet. Après six examens (4 principaux et 2 optionnels choisis parmi une douzaine), vous atteignez le niveau de « Microsoft Certified System Engineer ». Trois de plus (qui nous font neuf) vous élèvent au rang de MCSE+Internet. Les étudiants apprécient d'obtenir des certifications au fur et à mesure de leur progression. Les centres de formation aiment le programme parce qu'ils peuvent « vendre » beaucoup de cours. Les éditeurs aiment le programme parce qu'il peuvent éditer et vendre beaucoup de manuels. Pour qu'un programme de certification Linux fonctionne, il doit avoir, également, plusieurs séries d'examens ;
  • les examens doivent être difficiles - S'il est facile de devenir un « Linux Certified Professional » (ou quel que soit le titre), alors cela ne vaut rien. Il doit être difficile d'obtenir la certification, ou le titre perd tout son sens. Un des diplômes les plus difficiles à obtenir actuellement est le Cisco Certified Intenetworking Engineer. Le CCIE exige de passer un simple test « Sylvan Prometric », mais ensuite contient un examen pratique de deux jours au site de Cisco, dans une pièce remplie de matériel Cisco, où vous devez contruire un réseau. À la fin de la première journée, un ingénieur est envoyé pour casser votre travail, et vous passez la deuxième journée à trouver les erreurs. Vous disposez seulement de vos connaissances et des documentations des produits. Le problème d'une certification trop difficile, cependant, est qu'elle limite le nombre de gens qui l'obtiendront, et par là-même sa propre reconnaissance à grande échelle. Linux doit trouver un équilibre ;
  • les centres de formation doivent être « certifiés » pour pouvoir proposer des certifications Linux - Dans un marché très compétitif, les centres de formation cherchent à se différencier de leurs concurrents. Devenir un Linux Certified Training Center (ou quelque chose du genre) est un argument de vente pour un centre de formation. Cependant, quelqu'un (encore cette autorité centrale certifiante !) doit « autoriser » ces centres de formation... si tout le monde peut être LCTC (mon exemple de sigle), alors pourquoi chercher à le devenir ? Par exemple, pour devenir « Microsoft Certified Technical Education Center » (CTEC, anciennement ATEC), un centre de formation doit payer plusieurs milliers de dollars (par site) à Microsoft, accepter des contraintes matérielles très astringeantes, et conserver au moins deux MCSE directement affiliés au centre. De plus, Microsoft approuve les centres qui peuvent être CTEC, et en limite le nombre pour chaque région. Les dividendes payées par les centres certifiés Linux pourraient aller alimenter l'autorité centrale certifiante ;
  • les enseignants doivent être certifiés - Si quelqu'un a une connaissance particulière sur un sujet, cela implique-t'il qu'il est capable de l'enseigner ? La plupart des programmes de certification ont leurs mécanismes permettant de décider qui enseigne aux classes de certification dans les centres de formation autorisés. Microsoft a les Microsoft Certified Trainers (MCT). Novell a les Certified Novell Instructors (CNI). L'association Information Technology Training Association (ITTA - une organisation représentant les entreprises de l'industrie de formation en informatique) ont fait la promotion du diplôme Certified Technical Trainer (CTT). Dans tous ces cas, les candidats doivent montrer de réelles capacités à communiquer l'information, et des connaissances des techniques d'enseignement aux adultes. La CTT met même en jeu un enregistrement vidéo du candidat, passé en revue par d'autres instructeurs plus anciens ;
  • des logiciels de cours doivent être développés - Sans aucun doute, si un programme de certification doit être développé, quelqu'un doit écrire des logiciels pouvant être utilisés par les centres de formation comme supports de cours. Les éditeurs peuvent également créer des livres utilisables par les étudiants en auto-apprentissage. Ces logiciels doivent-ils être « autorisés » comme c'est le cas pour les autres programmes de certification ? Je n'en suis pas si sûr...

3.3 Pour aller plus loin

Si vous approuvez l'idée qu'un programme de certification puisse être bénéfique à la croissance de Linux, comment alors devons-nous nous y prendre, en tant que communauté, pour aborder les points signalés plus haut ? Devons-nous créer une nouvelle liste de diffusion, ou un nouveau groupe de discussion (Et est-ce qu'un tel groupe existe déjà ? Si c'est le cas, je n'ai pas encore réussi à le trouver) ? Devons-nous nous voir en conférence ?

Une certification Linux est-elle même possible ? J'ai l'impression que la communauté Linux (dont je me compte moi-même comme membre) a historiquement été extrêment rétive à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une certification... est-ce toujours le cas ? Un tel programme implique de façon intrinsèque un certain degré de coordination centrale, qui n'est pas nécessairement conforme à notre éthique ? Pouvons-nous créer un tel programme ?

Quels devraient être les acteurs de ce projet ? Quels vendeurs sont intéressés (Caldera souhaiterait-il se joindre à d'autres pour créer un programme commun ?) ? Quel est le rôle de Linux International ? Que penser d'autres travaux à l'intérieur de Sage ou Usenix ?

Je n'ai pas forcément les réponses à toutes ces questions - mais j'aimerais participer au débat. Si quelqu'un peut suggérer le bon forum dans lequel cette discussion pourrait avoir lieu (ou a déjà lieu !), je le prie de m'en faire part. Ainsi, dans ce but, j'aimerais proposer la création d'une « alliance sur la formation Linux », conprenant d'autres centres de formation et/ou formateurs qui seraient intéressés par la création d'un programme de formation et certification. Écrivez-moi à dyork@Lodestar2.com si vous pensez qu'un tel programme en vaut la peine, et si vous souhaitez y participer.

Je crois qu'un programme de certification peut accélérer la croissance de Linux vers la tendance dominante de l'informatique, tout en créant de nouveaux défenseurs de Linux, en développant son marketing et en contrant les arguments sur le manque de support. Pouvons-nous créer un programme de certification pour y parvenir ? Qu'en pensez-vous ?


Adaptation française: Géraud Canet, canet@lsv.ens-cachan.fr


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