Par Larry Ayers layers@marktwain.net
Il y a une tension dans la communauté Linux entre les développeurs qui se contentent de leur éditeur de texte et de leur système de formatage à base de balises, et les utilisateurs qui veulent le genre de traitement de texte que l'on trouve dans le monde Mac et Windows. Cette tension fait éclater de temps en temps des discussions dans des groupes de discussions ou dans des listes de diffusion, mais nous attendons toujours qu'un projet Logiciel Libre nous fournisse un traitement de texte complet et entièrement utilisable. La distribution sous licence GPL des sources du traitement de textes Maxwell, l'année dernière, n'a pas réussie à retenir suffisamment l'intérêt des programmeurs pour que cela devienne un projet continu et dynamique qui terminerait le programme, probablement parce que Maxwell repose sur les composants graphiques Motifs.
Bien sûr, les produits commerciaux StarOffice, WordPerfect et Applix Words sont disponibles pour Linux. Ce sont de grosses applications. J'ai plutôt l'impression que beaucoup d'utilisateurs désirent quelque chose de rapide à lancer et moins compliqué, un traitement de textes qui soit adapté aux lettres que l'on utilise à son travail dont le format est pré-défini et à d'autres petits documents. Un autre facteur qui n'est pas en faveur des applications commerciales ci-dessus est le manque d'implication de la communauté. J'ai remarqué que les applications dont le code source n'est pas disponible ne semblent pas générer aussi facilement de messages dans les groupes de discussions et dans les listes de diffusion que peuvent le faire certains projets de logiciels libres. Il est rare que j'écrive directement aux personnes impliquées dans le développement des divers projets de logiciels libres auxquels je m'intéresse, mais je sais qui ils sont et si le besoin s'en faisait ressentir, je n'hésiterais pas à les contacter. Les projets de logiciels libres attirent typiquement un niveau secondaire de co-développeurs et d'utilisateurs avertis qui fréquentent souvent les différents forums du réseau où il répondent aux questions et fournissent une assistance.
Il a été suggéré qu'écrire un bon traitement de textes est une tâche si difficile que c'est au-delà des capacités d'un processus de développement d'un logiciel Open Source. Je pense plutôt qu'un groupe de programmeurs suffisamment grand et désireux d'une telle application ne s'est pas encore réuni. Peut-être que ce genre de projet est plus adapté à une approche hybride impliquant à la fois une maison commerciale et des programmeurs de logiciels libres indépendants. AbiSource, Inc. s'est lancé dans l'aventure.
Est-il possible pour un projet Open Source ambitieux de s'épanouir et de produire des résultats utiles avec l'aide d'un sponsor qui a pour but de faire du profit ? Le projet Mozilla est une telle entreprise. Le code source est disponible depuis plus d'un an et beaucoup de travail a été fait mais les distributions actuelles d'exécutables, bien qu'intéressantes, ne sont pas à la hauteur des dernières versions de Netscape Communicator. Le gros du nouveau code semble encore provenir des programmeurs employés chez Netscape. Cela peut vouloir dire que les programmeurs de logiciels libres préfèrent travailler sur des projets qui ne sont pas sous l'égide d'une société ; une autre cause possible, est la taille réelle et la complexité du code de base de Mozilla. Beaucoup de programmeurs peuvent manquer de temps et/ou de capacités pour comprendre un tel projet, et repartir à zéro avec des composants graphiques assez nouveaux (GTK) doit encore plus accroître la difficulté.
Les programmeurs qui ont créé AbiSource, Inc. ne semblent pas être intimidés par la pénurie d'efforts faits pour mélanger le lucratif avec l'Open Source dès le début d'un projet. Mozilla avait déjà un code source conséquent quand sont développement fût ouvert au monde extérieur l'an passé, alors que le Sendmail commercial de Eric Allman a fait suite à des années de perte de profits et de développement libre. Eric avait écrit un logiciel reconnu et largement utilisé avant de former une compagnie ayant pour but de fournir des services aux sociétés utilisatrices de Sendmail.
On doit garder à l'esprit que ce sont encore les débuts du croisement du logiciel libre et du monde des affaires. Une année, ou plus, d'expérimentation, avec diverses épreuves et divers risques, devrait rendre les approches qui ont réussi à faire de l'argent évidentes, sans laisser pour compte les développeurs et les utilisateurs, dans la communauté du logiciel libre. AbiSource est une nouvelle société qui mise sur le fait que ses idées seront reconnues et utiles.
Le but d' AbiSource est de fournir des applications de gestion de base, Open Source, aux utilisateurs de Linux, Windows et BeOS. Leur idée est de donner leurs applications et de faire payer en plus pour le service et la personnalisation. Le premier produit d'Abi est un traitement de textes basé sur GTK, AbiWord. Des aides extérieures pour programmer sont les bienvenues et tout le bazar d'un projet Open Source, tel que les listes de diffusion, les serveurs CVS, et les mécanismes de rapport de bogues, sont disponibles sur la page internet d'AbiSource, http://www.abisource.com. Le nombre de programmeurs volontaires non Abi, qui contribuent au code, n'est pas mentionné sur le site, mais je pense que l'adaptation à BeOS a été dûe en grande partie aux programmeurs externes à Be.
Il est intéressant de voir que, alors que le code source est sous licence GPL et de ce fait librement accessible et modifiable, les noms AbiSource et AbiWord sont soumis à un copyright. Cela est sensé protéger la quelconque réputation et la reconnaissance de nom que la compagnie peut gagner si leurs services deviennent populaires.
La plus grosse différence entre AbiWord et presque tous les autres traitements de texte disponibles est la nature du format de fichier natif. Un fichier *.abw est écrit en XML et donc, c'est également un format ASCIInbsp;: les fichiers peuvent être lus par n'importe quel éditeur de texte. Ceci est une rupture certaine avec la traditions des traitements de textes et assure que lorsque vous écrivez un document avec AbiWord vous ne courrez pas le risque d'être lié à un traitement de texte particulier, qui pourra très bien ne plus fonctionner sur les machines qui existeront dans cinq ans. AbiWord peut également sauvegarder aux formats HTML et RTF, les deux étant accessibles avec des traitements de texte comme MS-Word et WordPerfect. À cause de limitations des formats HTML et RTF, certaines informations de mise en forme sont perdues (telles que les polices de caractère utilisées), mais les attibuts comme gras et italique, et les tabulations sont conservés. Si XML devient effectivement un format de données libre et largement utilisé (comme le prédisent ses adeptes), AbiSource serait en bonne position pour conquérir des utilisateurs et des clients.
Nombreux sont les utilisateurs de Linux qui désireraient pouvoir lire les fichier MS-Word avec un traitement de texte Linux. StarOffice, Applix Words, et WordPerfect sont tous livrés avec des filtres pour les formats les plus utilisés ; ces filtres fonctionnent en général bien avec des documents simples mais c'est une autre paire de manche dès qu'il y a des macros intégrées. AbiSource a choisi d'éviter tout particulièrement ce buisson d'épines ; le support du format RTF devrait assurer que des fichiers avec une mise en forme simple pourront être échangés avec les utilisateurs de Word.
Les utilisateurs et les développeurs sous Linux, dans les universités, avec leur forte tradition unix, ont moins besoin de pouvoir lire les fichiers MS-Word que le nombre croissant d'utilisateurs qui en viennent à Linux depuis le "vrai" monde, le monde beaucoup plus grand du commerce et des entreprises. Avant que le format MS-Word quasi-universellement utilisé, même pour les documents les plus simple, ne commence à décliner, les traitements de texte alternatifs devront lutter pour obtenir des parts de marché. Le fait qu'AbiWord soit gratuit devrait aider, bien qu'il existe encore une croyance selon laquelle les logiciels libres sont suspects.
Avec la distribution de la version 0.7 (et plus récemment de la 0.7.1) AbiSource a commencé à rendre ses binaires librement accessibles sur leur site internet et ont même pressé des CDs qui sont disponibles à un prix dérisoire. Cela semblerait indiquer que le programme a atteint un stade de développement auquel il est possible de l'utiliser. J'ai essayé la dernière version ; elle est utilisable mais basique et semble être stable. Il n'a jamais planté. Un petit nombre de fonctions de formatage des paragraphes et du document ont été activées à ce stade de développement, mais le changement de polices de caractères et les tabulations fonctionnent correctement. Il est possible d'agrandir la taille apparente du document à l'écran (de zoomer). Les polices de caractères peuvent être changées soit à l'aide d'un menu déroulant, soit avec l'épatant sélecteur de polices GTK. Voici une copie d'écran de la version 0.7.1.
Ça ressemble à un traitement de textes normal, non ? Remarquez les lignes rouges ondulées sous certains motsnbsp;; c'est supposé indiquer les mots mal orthographiés. Je n'ai pas encore trouvé le moyen de les désactiver. AbiWord a son propre dictionnaire, mais il ne semble pas que ce soit encore le meilleur moyen de vérifier l'orthographe d'un document. Beaucoup de fonctionnalités des menus ne sont pas accessibles. Le fait de cliquer sur l'une d'entre elles provoque l'apparition d'une boîte de dialogue disant que "the [function] dialog hasn't been implemented yet" ("la fonction n'a pas encore été implantée") suivi du numéro de ligne dans le fichier source où il faut rajouter le code, un appel du pied à l'attention d'un programmeur potentiel.
Si vous essayez AbiWord, créez un nouveau fichier avec quelques lignes, sauvegardez-le, et allez voir le fichier *.abw résultant avec un éditeur de texte. Ce que vous avez tapé sera lisible dans ce fichier, avec quelques balises XML qui indiqueront les propriétés de formatage. Par exemple, voici la dernière ligne du fichier utilisé pour la capture d'écran ci-dessus :
<p props="line-height:1.5; margin-right:1.8125in"> <c props="font-family:Century Schoolbook; font-size:14pt; font-style:normal; font-weight:normal">Variable line-spacing is now working. This is set now for one and one-half rather than single-spacing.</c></p>
Comme vous pouvez le voir, les marques de formatage sont compréhensibles et peuvent même être modifiées "à la main" avec un éditeur, plutôt que dans le traitement de texte. Le vrai contenu est accessible, une différence plutôt bienvenue par rapport au format binaire habituel des traitements de textes dans lequel le contenu est immergé dans une mer de symboles binaires illisibles.
La distribution du code source contient quelques exemples intéressant de fichiers *.abw, mais ces fichiers ont-été omis dans la distribution des exécutables.
Dans la version Linux, et je présume que c'est également le
cas dans les versions Windows et BeOS, l'impression est prise en charge
par le système d'impression existant. Sur mon système le
fichier semble être converti en PostScript puis passé
à Ghostscript pour traitement par mon filtre d'impression. AbiWord
utilise des polices PostScript Type 1 standards, mais pour on ne sait
quelle raison, elles doivent être situées dans un
répertoire spécifique à Abi. Plusieurs polices
standards sont fournies avec AbiWord, mais il est possible d'en rajouter
tant que les *.afm et *.pfa sont fournis avec chaque
police. Comme pour une procédure standard d'installation de polices
sous X Window, le fichier d'index fonts.dir
doit également
être mis à jour.
Sous sa présente forme AbiWord est utile pour écrire des document courts, avec un formatage simple, mais le manque de modèles de formatage de documents et de paragraphes, ainsi que le manque d'une fonction d'insertion d'images fonctionnelle, limite son champ d'utilisation. Il m'apparaît qu'AbiSource a solidement développé la structure de base d'un traitement de texte, et les ancrages pour compléter le jeu de fonctionnalités sont en place sous forme de squelette et ont juste besoin d'être remplis. La décision d'employer le format de fichier XML devrait attirer les utilisateurs qui veulent manier quelque chose d'autre que les formats binaires exclusifs typiquement employés par les traitements de textes. Il reste encore à voir si AbiSource va être capable de garder en vie le processus de développement jusqu'à ce que des recettes arrivent, mais au moins le code source restera disponible, qu'ils réussissent ou non.
Traduction française de Xavier Serpaggi