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8. Les logiciels et les plantes

Par Larry Ayers

8.1 Une comparaison tirée par les racines.

Récemment, alors que je songeais à l'influence exercée par Linux et les logiciels libres en général sur ma vision du monde, il m'est apparu une analogie amusante entre le domaine du logiciel libre et une autre de mes activités radicalement différente. Faire pousser des plantes peut vous paraître aussi éloigné de la programmation et des ordinateurs qu'il est possible de l'être, mais j'y vois pourtant des similitudes.

Tout d'abord, voyons pourquoi utiliser Linux, et les logiciels libres en général, satisfait autant de gens :

  • l'utilisateur ne dépend pas d'entreprises imprévisibles ;
  • Linux est efficace, modifiable et se développe rapidement ;
  • un solide esprit communautaire lie les gens ;
  • Linux se conforme aux standards des systèmes ouverts ;
  • dans sa version de base, Linux s'insère aisément dans un réseau sans logiciels supplémentaires ;
  • les bugs sont corrigés rapidement, en partie parce que :
  • les développeurs sont disponibles, prompts à répondre et intéressés.

Les graines issues d'une pollénisation naturelle sont des graines qui peuvent être plantées et qui donneront des plantes ressemblant de très près à leurs parents. Les graines hybrides sont des croisements entre des espèces ou des variétés différentes. Planter les graines d'une plante hybride donne des résultats imprévisibles et en général opposés à ce qui était désiré. Pourtant, les grandes sociétés préfèrent vendre des hybrides, car le consommateur se voit contraint de racheter de nouvelles graines année après année, plutôt que de replanter les graines produites par les plantes de l'année passée. Vous devez commencer à voir où je veux en venir, non ?

Au contraire, un jardinier qui conserve les graines issues d'une pollénisation naturelle peut modeler une variété en sélectionnant celles qui proviennent des plantes les plus productives et en meilleure santé. Cette évolution pourra aboutir à une meilleure adaptation au climat local et à la composition du sol. Pure coincidence, celui qui se charge de perpétuer une variété de plante au cours des ans est appelé le "mainteneur" de la variété, de même que le "mainteneur" d'un logiciel libre prend soin de son évolution. Lorsqu'il lui devient impossible de poursuivre son effort, il passe la responsabilité à quelqu'un d'autre.

Bien trop souvent, la production de votre variété préférée d'un légume ou d'une fleur est interrompue par la grande société qui l'assurait. Si cette plante était une hybride, il est probable que cette variété ait disparu à jamais, mais même si cette variété était féconde, elle ne pourra survivre que si quelqu'un en a conservé quelques graines. N'avez-vous jamais vu un programme que vous appréciez être abandonné par la société qui assurait son développement ?

Si les multinationales qui produisent des graines ont des points communs évidents avec les entreprises qui éditent des logiciels, on peut aussi comparer les sociétés qui proposent chacune leur distribution de Linux avec celles qui vendent leurs propres variétés de graines issues de plantes pollénisées naturellement. Les unes comme les autres s'adressent à un marché de niche, et leurs clients peuvent reproduire et redistribuer le produit vendu. Le profit potentiel est bien moindre que pour un vendeur de produits impossibles à modifier, mais la clientèle est en constante croissance.

Les communautés du logiciel libre et des plantes "naturelles" vivent en paix avec leur entourage. Il y a peu de publicité, en particulier dans les média grand public, parce que les intérêts commerciaux sont trop faibles pour permettre des dépenses de cette ampleur. Les communautés du logiciel libre et de Linux ont énormément bénéficié de l'Internet, pendant que leurs équivalents chez les jardiniers mettaient en place des organisations comme "Les Échangeurs de Graines".

Ce dont il est réellement question ici est donc la capacité de contrôler et de façonner une partie de l'environnement des gens, que cette partie soit composée d'octets ou de gènes. Je pense qu'au fur et à mesure que la société devient de plus en plus complexe, de plus en plus peuplée et de plus en plus bureaucratique, ces zones d'autonomie individuelle s'amenuisent. Ces deux domaines à la lisière de l'écrasante normalité, de même que d'autres qui leur ressemblent, seront certainement amenés à croître dans les prochaines années.


Larry Ayers -- Paru dans le n°31 de la Linux Gazette

Adaptation française : Nicolas Chauvat.


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